[Note de lecture] Jean Auroux, le dernier des progressistes
05.01.2023
Représentants du personnel

Ministre du Travail de François Mitterrand en 1981, Jean Auroux a donné son nom à un bouquet de lois actant un progrès décisif dans les droits des travailleurs et des représentants du personnel. Aujourd'hui retiré de la vie politique, il célèbre les 40 ans de sa refonte du code du travail en publiant ses mémoires. Un texte humaniste et porteur d'espoir.
Des prairies des villages au perron des ministères, tel aurait pu être le sous-titre de ces mémoires sobrement intitulées "Un chemin républicain". Jean Auroux est en effet né en 1942 à Mardore, petit village du Rhône peuplé alors de six cents habitants. De cette jeunesse rurale et de son parcours d'élu local puis national, il tirera l'essentiel de ses valeurs et un caractère bien forgé pour affronter trois ministères de suite, et pas des moindres : le travail, l'énergie, les transports.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
"Je n'avais pas prévu de rédiger mes mémoires, mais une collaboratrice du cabinet Mot-Tech (1) et son directeur Steven Thepault, me l'ont proposé. Il était temps de prendre du recul, en particulier l'année des quarante ans des lois travail adoptées sous mon ministère", nous confie-t-il en nous recevant dans son pied-à-terre parisien.
Dans ce texte de plus de 200 pages au style sensible, on apprend que deux étapes de vie ont forgé le "chemin républicain" de Jean Auroux. Enseignant syndiqué à la CGT, militant à la section de Roanne, il fut convaincu par le socialiste Jean Baboulène de se présenter aux élections cantonales contre Alain Terrenoire, fils d'un ministre du général de Gaulle. La difficulté de l'exercice fit de sa victoire "le grand tournant de sa vie", se félicite-t-il dans ses mémoires. Ce fut la première étape, le 14 mars 1976.
Après plusieurs mandats de député de la Loire et de maire de Roanne, la seconde étape le propulsera rue de Grenelle où siège toujours le ministère du Travail occupé par Olivier Dussopt. "Vous êtes maire d'une ville ouvrière. Vous connaissez les partenaires sociaux. Vous avez le souci du dialogue social. Vous partagez mes orientations. Je vous fais confiance", lui a dit François Mitterrand en l'assurant de son soutien. Nous sommes au lendemain du 10 mai 1981. "J'étais un peu son soldat", reconnaît Jean Auroux aujourd'hui. Le Président socialiste voulait aussi un ministre du Travail qui ne soit pas juriste, "car les systèmes trop complexes sont mal perçus par les gens", lui aurait dit Tonton. Jean Auroux nous confie avoir été quand même quelque peu effrayé lorsque le Président lui demanda un rapport sur les nouveaux droits des travailleurs. Il sut cependant attirer les compétences de ses hauts fonctionnaires (dont Martine Aubry) et d'experts pointus pour mitonner les futures lois Auroux.
En quelques chapitres aux anecdotes pétillantes, Jean Auroux retrace la genèse de l'un des plus grands progrès sociaux du dernier demi-siècle. Qui rêverait aujourd'hui de voir développés les droits des travailleurs et de leurs représentants serait qualifié d'utopiste. Recevant les foudres du patronat l'accusant de vouloir instaurer les soviets en entreprise, Jean Auroux résista dans la tempête et réforma un tiers du code du travail (2). Les droits individuels du salarié furent substantiellement améliorés : limitation de l'intérim, respect de la vie privée, droit d'expression, favorisation du CDI grâce aux groupements d'employeurs, 39 heures de travail payées 40, 5ème semaine de congés payés, retraite à 60 ans, augmentation du Smic. Il s'agissait de reconstituer une collectivité de travail, "que l'entreprise ne soit pas le silence des hommes derrière le bruit des machines", comme il aime à le rappeler.
Côté collectif, il instaura la négociation annuelle obligatoire, accorda aux comités d'entreprise un budget de 0,2 % de la masse salariale afin qu'ils puissent recourir à l'expertise, créa le droit d'alerte, rebaptisa les trop religieuses "œuvres sociales" en de plus laïques activités sociales et culturelles. On lui doit aussi rien de moins que les CHSCT et la répartition entre délégués de site et délégués de groupe. Tel un Ulysse ministériel à qui les Dieux auraient offert des vents favorables pour arriver à bon port, malgré de longs débats et négociations, il considère aujourd'hui "n'avoir pas eu trop de difficultés" à faire adopter ses projets de loi. "J'ai quand même vécu des choses extraordinaires", se réjouit-il, évoquant notamment quelques épisodes savoureux avec les plus grands noms du syndicalisme français : Henri Krasucki (CGT), Edmond Maire (CFDT), André Bergeron (FO) pour ne citer que les plus célèbres.
C'est dire l'héritage précieux que l'on doit au travail de Jean Auroux. Les ordonnances Macron de 2017 ont largement détricoté cet écheveau de droits. "Modifier des lois quarante ans après ne me choque pas. En revanche, ce fut une lourde régression. Quand je suis de mauvaise humeur, je dis que c’est la revanche patronale ! Mais il y a bien un peu de ça quand même…", nous avoue-t-il, un soupçon de regret dans les pupilles. Aujourd'hui, Jean Auroux vogue d'invitations en conférences. Il est aussi le parrain du club de CSE Le toit citoyen, qui récompense chaque année un auteur du prix du meilleur ouvrage sur le monde du travail.
Surtout, il ne faut pas lire ces mémoires avec la nostalgie d'un temps révolu. L'auteur veut par son témoignage éclairant redonner de l'espoir et montrer que tout est possible.Tel un volcan qui ne s'éteindra jamais, c'est comme cela que Jean Auroux croit au progrès.
Un chemin républicain, Jean Auroux, Mémoires d'or, 235 pages, 9,90 €
(1) Agence spécialisée dans la rédaction de procès-verbaux de CSE
(2) Les quatre "lois Auroux" :
- loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise
- loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel
- loi n°82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective
- loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail
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